mercredi 19 décembre 2018

Analyser un discours publicitaire : Mamie Nova (2)

La marque Mamie Nova a fait tourner dans les années 80, en 1988 très exactement, une série de spots publicitaires au réalisateur Claude Miller, qui mérite amplement sa place dans notre étude sur le discours publicitaire (débutée avec un premier article ici).

Arrêtons-nous sur l'un d'entre eux.

Le spot présente deux grands-mères d'allure bourgeoise, jalouses de Mamie Nova. Elles s'énervent contre elle, vitupèrent, "rouspètent", comme le dit l'une d'elles, inscrivant la publicité dans un registre comique. Nous sommes devant une séquence discursive dialoguée, clôturée par une voix off masculine énonçant le slogan de la marque, le célèbre "Mamie Nova, les mamies ne lui disent pas merci".

Transcription du dialogue ici.


 
Dans la publicité précédemment étudiée, il s'agissait d'un discours qui imitait le dialogue, composé de questions-devinettes et de réponses, prises en charge par un seul et même énonciateur. Les auteurs Adam et Bonhomme décrivent à ce sujet un "dialogisme mimé" et notent que "la plupart des devinettes publicitaires sont de fausses énigmes, elles donnent immédiatement la solution afin de ne pas frustrer le lecteur et d'éviter de l'égarer dans des supputations aléatoires au détriment de la mémorisation du produit" (L'argumentation publicitaire, 2005)
Il s'agissait de faire la description d'un produit et le portrait de son icône : "Mamie Nova ? C'est une gentille grand-mère qui vit à la campagne et qui fait de succulents desserts". Mamie Nova s'incarnait dans le texte et dans l'image.

Dans le spot de Claude Miller, c'est dans la parole de l'autre qu'elle s'incarne. Absente visuellement, elle est présente en permanence dans le discours des deux grands-mères. Il n'est plus besoin de la présenter. C'est déjà une star, nous y reviendrons... Le dialogue expose un conflit entre une grand-mère et son petit-fils, qui préfèrent le fromage blanc de Mamie Nova, et qui met de facto cette dernière sur un piédestal.

La publicité met donc en scène un antagonisme, une rivalité entre les grands-mères et Mamie Nova. Le système énonciatif nous le confirme : le "je" et le "vous" de politesse s'agrègent dans un "nous" englobant et généralisant, qui inclut toutes les grands-mères et s'oppose à l'originale Mamie Nova désignée par les pronoms personnels "elle" et "lui". Dans la réplique finale de la voix off, d'ailleurs, nous trouvons l'article défini "les", à valeur générique. Rappelons-la : "Mamie Nova, les mamies ne lui disent pas merci." Avec un groupe d'élèves, il sera intéressant de leur montrer que cet énoncé relève du slogan et de la poésie. Poétiquement, en effet, on note l'assonance en [i], qui appuie et rythme la phrase, et en fait un vers léonin, la césure à l'hémistiche le scindant en deux heptasyllabes rimant en [i] ("Mamie Nova, les mamies / ne lui disent pas merci"). Remarquons par ailleurs la paronymie des deux mots rimés ("mamie" et "merci").

La situation conflictuelle s'est en réalité déjà produite. En effet, nous pouvons relever l'usage de deux déictiques à valeur temporelle, "cette fois-ci" et "encore", qui indiquent le caractère répété de la situation. Et il est tout à fait certain qu'elle se reproduira : "Elle nous aura jusqu'au trognon", dit Yvonne, l'une des deux grands-mères. Le goût des enfants pour les desserts de Mamie Nova n'est pas passager, ce n'est pas un caprice, voilà ce dont on veut convaincre le consommateur.

L'antagonisme décrit se mesure également à des indices sémantiques. Les élèves auront relevé et commenté dans la première publicité l'adjectif (à valeur axiologique, pour être précis) "gentille" pour caractériser Mamie Nova. A l'opposé, le scénario du spot publicitaire nous présente deux bourgeoises acariâtres, Maud et Yvonne, qui râlent contre Mamie Nova. 
Faisons-les décrire aux élèves : leur classe sociale transparaît dans leur tenue vestimentaire (chapeaux, collier de perles, boucles d'oreille, tailleurs élégants et classiques, gants) et leur mimo-gestuelle (expression du visage, intonation offusquée). Leur discours, marqué par l'émotion, emprunte, par contre, beaucoup au registre populaire, ou familier. Les mots, que Maud emploi ("Crotte, zut, flûte"), qui initient la conversation, signalent d'emblée l'émotivité de son discours. Ces interjections, qui portent en eu une valeur pragmatique, accomplissent un acte de parole, à savoir, le fait de râler, de pester (tout comme l'onomatopée "pfft" accomplit l'agacement, voire le mépris). Ce qui prédomine alors, ce sont des termes qui appartiennent au langage populaire, qui tranche avec le statut social des deux locutrices : "dérailler", "rouspéter", "casser des pieds", "avoir jusqu'au trognon". Certes, nous pouvons relever l'emploi du vouvoiement et d'un "Pardonnez-moi" poli. Cette forme d'interférence lexicale (registre populaire / registre de politesse) est la marque de leur affectivité, le symptôme d'un dérèglement, d'une perte de contrôle, dont elles sont conscientes, et que l'une verbalise ("Voyons Maud, vous déraillez"). Les deux grands-mères apparaissent alors aux des téléspectateurs d'autant plus risibles et discréditées.

En réalité, l'antagonisme entre les grands-mères et Mamie Nova met à jour un deuxième topos qui sous-tend le discours publicitaire de la marque. Non seulement, il faut convaincre les consommateurs que les desserts Mamie Nova sont bons, parce qu'ils sont fabriqués dans le respect de savoir-faire traditionnels (voir notre précédent article), mais également qu'ils sont différents de ceux des grands-mères, car celles-ci aussi représentent la tradition.

Nous verrons donc, dans un troisième article, comment se met en place, à travers une autre campagne publicitaire de la marque, un deuxième topos selon lequel ce qui est nouveau est original et bon.

Suite de l'analyse à lire ici.

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