mercredi 3 avril 2019

Analyser un discours publicitaire : Mamie Nova (3)

Dans ce dernier volet consacré à l'étude des publicités de la marque Mamie Nova (les deux précédents articles à lire ici et ), revenons sur la notion de topos dans l'argumentation :
"Au plus proche de la conception aristotélicienne du lieu commun se trouve le topos comme structure formelle, modèle logico-discursif", écrit Ruth Amossy. 
Précisons, avec un autre linguiste, Jean-Claude Anscombre, que les "topoï sont des principes généraux, qui servent d'appui au raisonnement". Dans le cas qui nous occupe, deux topoï apparemment contradictoires sous-tendent et structurent l'argumentaire de la marque : 
- ce qui est traditionnel est bon,
- ce qui est nouveau est bon.
C'est ce deuxième topos que nous allons mettre à jour dans les campagnes plus récentes de Mamie Nova.  


Mamie Nova, belle et bonne...


Une série de publicités publiées dans la presse à partir de 2012 présentent toutes le même slogan : "Mamie Nova, il n'y a que toi qui me fais ça." Celui-ci évoque irrésistiblement celui de la campagne de la fin des années 1980 : "Mamie Nova, les mamies ne lui disent pas merci." Les deux rassemblées forment une anaphore, avec le nom de la marque au début de l'énoncé. La différence est que nous sommes passés, au niveau énonciatif, du "elle" au "toi". L'énonciateur consommateur s'adresse à Mamie Nova, en louant son caractère singulier, unique, par l'usage de la structure restrictive "ne... que". Il fait montre du plaisir qu'il prend à déguster ses desserts, dans une formule lexicale équivoque "toi qui me fais ça".

Mamie Nova est en fait (c'est une antithèse !) une éternelle jeune mamie. Les accroches de la campagne d'affiches de 2017 le soulignent avec vigueur : "Mamie rajeunit le fromage", "Mamie rajeunit le yaourt". Le verbe "rajeunir" marque la nouveauté, l'innovation que représentent les produits de la marque. Si Mamie Nova conserve sur les affiches son visage iconique de grand-mère des débuts de la marque, elle possède, par contre, un corps de jeune femme, mis en valeur par des vêtements de bain de pin up. Un corps svelte et beau pour des produits légers et bons, c'est peut-être également à cet argumentaire publicitaire contemporain que renvoie la dimension iconique de ces affiches.


Mamie Nova, c'est donc une mamie jeune, un brin aguichante, une mamie qui ose. Il y a précisément une once d'érotisme dans l'expression "me faire ça". Rappelons-nous les deux bourgeoises guindées du spot de Claude Miller. Le matérialisme, le conformisme, la respectabilité, le rationalisme, voilà les valeurs qu'elles véhiculent. Mamie Nova est loin de cet esprit bourgeois : elle est fantaisiste, singulière, unique, novatrice. Elle est devenue une artiste qui casse les codes, une star. D'une certaine façon, la marque et ses produits se sont starifiés. Il suffit pour s'en convaincre d'observer les publicités de 2012, composés sur le même modèle : un pot de dessert est représenté sur un fond bayadère, au centre de l'image, sous les feux des projecteurs. Dans celle-ci, le dessert est associé à la célèbre tour de Pise :

Dans deux autres, le vocabulaire évoque le cinéma ("le septième art", "la cérémonie d'ouverture"). Au niveau iconique, la pellicule de film dans l'une, le pupitre surmonté de micros dans l'autre, appuient l'analogie entre le cinéma et les bonnes recettes de Mamie Nova.


Un stéréotype culturel


Le nom même de la marque, Mamie Nova, synthétise les deux topoï mis à jour : "mamie", mot d'enfant à valeur affective, renvoie à la famille et à la tradition ; "nova", forme féminine de l'adjectif latin novus (nouveau, neuf, jeune) réfère à la nouveauté.
Un stéréotype culturel vient se greffer aux deux topoï analysés, la représentation selon laquelle, pour reprendre les mots de R. Amossy, "le Français est un fin gourmet, représentant d'une culture raffinée et expert dans l'art d'aimer." De là, l’intérêt qu'il y aurait à étudier ce corpus de publicités avec un public d'apprenants.

Ce stéréotype est plus particulièrement présent dans la campagne de 2012. D'une part, les thématiques choisies renvoient explicitement au monde de la culture : l'Italie avec la tour de Pise, le cinéma avec le Festival de Cannes. Observons, d'autre part, que ces publicités s'adressent à un public averti, capable d'apprécier, de goûter devrions-nous écrire, jeux de mots et références implicites. Voici l'accroche de la première publicité de notre corpus :
"Mamie a toujours eu un p'tit penchant pour l'Italie."
L'énoncé réfère à l'arôme du dessert (café cappuccino), et implicitement, on l'aura compris, à la tour de Pise. L'image du pot penché, qui accompagne le texte, redouble la référence. Quant au jeu de mots, il porte sur le terme "penchant", qui signifie, quand il est un adjectif qualificatif qui est incliné, et quand il est un substantif, inclinaison, goût. L'accroche de la deuxième publicité, publiée dans des magazines de cinéma, comme Première, est la suivante : 
"La cérémonie d'ouverture que le monde entier nous envie."
L'image, là aussi, aide à l'élucidation du jeu de mot, puisque nous voyons l'opercule du pot de Mamie Nova à moitié ouvert, invitant au plaisir de la dégustation. 


La troisième publicité que nous avons choisie possède une accroche sous forme de distique :
"Pour vos yeux, le 7ème art.
Pour votre palais, le 7ème ciel."
A un niveau poétique et rhétorique, notons ici le parallélisme des deux vers, avec l'anaphore de la préposition "pour" et de l'adjectif ordinal "septième". Sont ainsi associés plaisir cinéphile ("yeux", "septième art"), plaisir gustatif ("palais") et plaisir sexuel ("septième ciel"), ce dernier élément renvoyant à ce que nous avons dit de la caractérisation érotique de Mamie Nova. 
Dans cette dernière accroche, le destinataire est directement impliqué avec l'emploi, au niveau énonciatif, des déterminants possessifs ("vos", "votre"). C'est à un public cinéphile, à un public gourmet, ouvert à des saveurs originales ("café cappucino", "réglisse menthe") que s'adresse chacune de ces trois publicités. Et ce qui en fait la spécificité culturelle, c'est donc de projeter l'image stéréotypée d'un consommateur français cultivé, "raffiné et expert dans l'art d'aimer. (R. Amossy, L'argumentation dans le discours)


Une connivence culturelle


Les publicités de la marque Mamie Nova entretiennent ainsi une connivence culturelle avec leur destinataire. Elles nous disent finalement ceci : "Nous savons que vous êtes un consommateur attentif à la qualité de nos produits, un consommateur gourmet et gourmand, suffisamment cultivé pour comprendre nos jeux sur la langue et nos références culturelles". Le discours publicitaire de Mamie Nova réfléchit une représentation positive de leur destinataire. C'est bien, comme l'écrit R. Amossy, la visée de tout discours argumentatif : "Il s'agit de faire adhérer l'allocutaire à une thèse ou de lui faire adopter un comportement en projetant de lui une image dans laquelle il lui est agréable de se reconnaître."

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