mercredi 22 juin 2016

Classes inversées : quitter l'estrade pour la scène

Ses plus fervents défenseurs, comme ses détracteurs, ont fait de la classe inversée un sujet pédagogique à la mode 1. Nous savons avec Rica ce qu'il faut penser de la mode. J'observe pour ma part que les "classes inversées" - il convient d'user du pluriel, tant l'expression recouvre visiblement des dispositifs et des expérimentations diverses - invitent à un curieux mouvement contradictoire. J'y viens.
Il faut ensuite admettre que le principe de la classe inversée est associé à l'intégration du numérique, au point que l'une se confond dans l'autre. J'en veux pour preuve, par exemple, cet article de L'Obs. C'est essentiellement de "classe numérique" dont on nous parle 2.
Bref, sous le label "classe inversée", on nous vend, à moindre frais, de l'innovation et de la pédagogie avec le numérique, sans que l'on questionne vraiment le temps de l'apprentissage à l'école et en-dehors, sans que l'on travaille à l'autonomie de l'élève apprenant, sans que l'on s'interroge au préalable sur les modalités d'une pédagogie différenciée.

Il est significatif de noter qu'il est demandé à l'élève, dans le cadre d'un dispositif inversé, de travailler en autonomie, seul chez lui. La réalité est rarement interrogée : élève aidé à la maison par le parent ou l'aîné ; élève whatsappant à la copine ou au copain pour résoudre tel problème de maths ; élève recopiant à une récréation les bonnes réponses du QCM de français ; élève décrocheur ; etc. 
Etonnante classe inversée qui fait de l'entraide, de la collaboration, de la coopération - choisissez - des principes actifs du dispositif en classe ; mais qui les ignore en-dehors : les élèves sont invités à visionner individuellement leur capsule, à suivre leur feuille de route ou remplir leur QCM. C'est, nous dit-on, pour mettre en place en classe groupes de besoin et pédagogie différenciée. Les ressources sur ce sujet sont plutôt rares, au contraire de celles qui nous apprennent les mille et une manières de réaliser notre première capsule.


Ryan McGuire, http://gratisography.com/

Etonnant mouvement contradictoire, disais-je, que des enseignants, des formateurs, des inspecteurs, des universitaires, promeuvent ; un mouvement finalement à 360°, qui nous propose de quitter l'estrade pour rejoindre la scène. Car de quoi s'agit-il ? D'encapsuler son cours magistral, de descendre de son estrade pour se mettre en scène dans une vidéo.

Alors oui, au sens étymologique et physique du terme, la classe inversée est une révolution 3.


1. Sans doute convient-il de lire les éclairages de Marcel Lebrun : http://lebrunremy.be/WordPress/ ; de Christian Puren, dans le cadre d'un enseignement des langues dans le secondaire
http://www.christianpuren.com/2016/01/31/a-propos-de-la-classe-invers%C3%A9e-dans-l-enseignement-secondaire-des-langues/
2. Je cite et je souligne : "Il a fallu créer une partie des ressources pédagogiques, apprendre à utiliser les logiciels pour réaliser les capsules, repenser la salle de classe pour qu'elle s'adapte au travail de groupe. Si elle ressemble de loin à n'importe quelle autre salle, avec ses murs violets et son tableau blanc, la classe inversée est connectée : le sol est truffé de prises, pour que chacun puisse brancher un ordinateur et se connecter à Internet." 
3. Récemment encore, dans deux articles parus dans Nousvousils, le mot est employé : par Paul Devin, inspecteur de l'Education Nationale,"La classe inversée n'est pas une révolution pédagogique, mais une illusion", et par Héloïse Dufour, présidente de l'association Inversons la classe, "La classe inversée est une révolution, mais pas celle que l'on croit".

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