L'argument principal veut que la parole suscite l'échange, la possible relation ; elle suppose aussi un peu de variabilité, ce qui lui donne de la vie (un peu de fluence qu'entraîne la prononciation). Elle implique surtout la présence de l'acteur (le locuteur) ainsi que celle de l'entendant, tandis qu'avec l'écrit nous sommes seul et, de plus, nous avons confié au dehors (aux seuls signes) le soin de conserver tant les souvenirs que le sens.
Non seulement, dans le dialogue, nous assistons à l'alternance des questions et des réponses, mais - remarque de poids - l'écriture se borne le plus souvent à transcrire ce qui a été dit ou décidé, au risque que le signifiant obscurcisse ou déforme le signifié. L'écriture ressemble alors à la peinture muette et morte d'un réel qui a d'abord été vécu et dit.
Ajoutons encore que Socrate, celui qui fonde l'acte philosophique, n'a surtout pas laissé de texte qu'il aurait composé. Il interroge seulement et s'interroge aussi. Platon lui-même n'a exposé sa philosophie qu'à travers le jeu des conversations (les dialogues platoniciens).
Nous nous souvenons de la remarque selon laquelle, en Afrique, par exemple et partout où nous rencontrons des populations à civilisation orale, le vieillard qui ne manque pas de se souvenir tient lieu de vraie bibliothèque.
Il est sûr que la parole que préconisait Platon a cependant connu une éclipse importante, mais, aujourd'hui, elle revient en force et prend sa revanche parce qu'elle aussi peut être enregistrée et surtout se communique désormais au loin. Le texte de Platon, avec d'autres arguments et dans la perspective des nouvelles techniques communicationnelles, ne peut qu'en reprendre vie !
François Dagognet, Les grands philosophes et leur philosophie, 2002, pp. 29-30
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